Rencontre avec Gauthier – Un citoyen de la transition au quotidien

gauthier et Pauline

Vous vous souvenez peut-être de Gauthier, dont nous avons déjà parlé dans la catégorie PORTRAITS de notre site. Nous l’avons rencontré chez lui, à la frontière Suisse, quelques jours avant le premier confinement en Mars 2020. Il nous avait accueilli 2 jours pour partager avec nous ses réflexions, ses projets, des conseils de lectures, sa vision du monde et des déchets.

Nous avions alors produit pour lui la vidéo « Explications HOTBIN », faisant la promotion de la « poubelle chaude », une méthode de compostage encore peu connue. Il nous avait d’ailleurs motivé à redonner vie au compost de nos parents pendant le confinement et avait entre autre inspiré la rédaction de nos articles « COMPOST MON POTE »

Dans cet article, on souhaite revenir sur des réflexions plus personnelles que Gauthier a partagé avec nous pendant notre visite au format d’une interview itinérante.

Nous avions commencé notre visite des environs par un arrêt au Point d’Apport Volontaire commun aux habitants du village. C’est là que nous avons débattu sur ce que l’on a le droit ou non de mettre dans les fameux conteneurs de tri. Et comme TOUJOURS, cela varie selon les villes et les régions… Ici, il y avait un conteneur pour le plastique, un pour les cartons/emballages, un pour le verre et un pour le métal.

Large choix donc, mais sommes nous critiques sur le contenu de nos poubelles ou bien est-ce que nous agissons par automatismes, comme de simples pantins de la consommation ? Que penses-tu de ces méthodes de tri ?

Pour moi, une aberration aujourd’hui, c’est au niveau du verre. La température des fours pour recycler du verre doit monter à 1 000 °C parce que le verre est très dense. Si on calcule, c’est 850 kg le mètre cube. A transporter ce sont de grandes infrastructure, et beaucoup de logistique avec des gros camions. Il y a quelques fonderies en France où il faut amener le verre des conteneurs pour refaire derrière des bouteilles. De plus, sur le contenu du conteneur, il y a forcément une partie qui va être polluée par différentes matières et ne va donc pas pouvoir être utilisée pour refaire du verre. Ensuite, tu refais des bouteilles et t’as une logistique inverse pour ramener sur les territoires et les zones de remplissage pour que tu puisses l’avoir dans ton magasin. Alors qu’avant t’avais des systèmes de consignes, beaucoup plus intéressants et performants. Alors les gens vont te dire « Oui oui mais la pollution de l’eau, le nettoyage des bouteilles« . Aujourd’hui on a des systèmes très performants. Si tu prends à l’échelle macroscopique, tu peux avoir des petits réseaux logistiques qui viennent récupérer le verre, aller vers la zone de nettoyage qui peut utiliser des savon organiques qui ne vont pas avoir d’impacts sur la qualité de l’eau et en plus, aujourd’hui certains centres ont leur propre systèmes d’épuration.

Alors, selon toi, est ce qu’aujourd’hui c’est tout de même mieux d’acheter ma compote dans un bocal en verre ou il me faut préférer les contenants en plastiques ?

Non cela reste mieux d’acheter ta compote dans un bocal en verre pour plusieurs raisons. Déjà tu peux réutiliser ce bocal. Ensuite, le plastique aujourd’hui, il n’y en a qu’une infime partie qui peut être recyclée et nous avons beaucoup de retard en ce qui concerne ce que l’on met en place pour voir comment recycler le reste. En plastique alimentaire, comme on mélange tous les types de plastique, si on a une contamination croisée, les nettoyer c’est très compliqué. Le plastique n’est pas neutre comme le verre. Avec le plastique, tu vas avoir des interactions entre contenu et contenant. Donc tu peux pas assurer que le plastique soit nickel au niveau des certifications alimentaires. On va pouvoir recycler le plastique mais c’est pas tellement du recyclage parce ce que n’est pas une boucle infinie. Tu vas toujours avoir besoin de matières premières – donc de pétrole – pour refaire du plastique pour la filière alimentaire.
C’est exactement ce qui se passe avec les capsules Nespresso. On dit qu’on a mit en place les filières de recyclage, mais avec l’aluminium recyclé ils ne peuvent pas refaire de capsules. Ils produisent peut-être des stylos, des vélos etc. Résultat, ils sont obligés d’extraire de la matière première issue de l’alumine pour produire de nouveau de l’aluminium pour refaire des capsules et donc du coup t’es quand même sur un système linéaire malgré le fait qu’on veuille te faire croire qu’on a  créé un système circulaire tu as toujours un flux/une matière première issu du sol en entrée. 

Selon toi, si tu utilises un déchet comme ressource pour faire un objet différent ça reste linéaire ? 

Oui, ça reste linéaire parce que tu vas continuer à consommer du café en capsule et il faut quand même extraire de la matière première donc t’es toujours dépendant d’une entrée de matière. Pour une tonne d’aluminium produite, tu produis 3 tonnes de boues rouges chargées en arsenic, cyanure, métaux lourd, acide de soude caustique très pollués et polluants dont on ne sait pas quoi faire. Ces boues sont stockées à travers le monde dans des cuves, ou, par exemple dans les calanques de Cassis, où elles ont été directement déversées dans la Méditerranée. Donc l’aluminium, c’est un matériau génial, mais si on continue à être dépendant de la chaîne de production, et qu’on ne repense pas le système en disant, aujourd’hui a on produit assez d’aluminium, recyclons-le au maximum, on va continuer à produire des déchets. Donc oui, même si d’un côté on a un système circulaire, on produit quand même un déchet à partir du moment où on s’approvisionne de cette matière. C’est pas un déchet anodin.

Après le problème c’est aussi l’utilisation alimentaire de certains produits soumis à certaines réglementations sanitaires. C’est une thématique complexe. C’est là où il faut poser les questions dans le bon sens. Ce n’est pas les matériaux qui font les conditions d’hygiène, c’est toute la chaîne et la maîtrise de la chaîne. Les chargés Qualité Sécurité Environnement sont en charge de tout ça.
Si je prends un exemple, on a voulu faire des fromages et on a voulu les affiner sur des planches en plastique pour des raisons d’hygiène en disant « On lave les planches à l’eau de javel, on est en milieu neutre ». Le problème c’est que les bactéries elles sont partout, sur nos mains, dans notre bouche. Elles font partie de cet équilibre, c’est notre microbiote essentiel à notre vie. Sans ça on est attaqués par des bactéries pathogènes qui vont nous rendre malade. Ton intestin fonctionne grâce aux bactéries qui vont couper les aliments et les rendre accessibles. On est dépendant des bactéries. L’idée c’est pas comment on les supprime mais comment on vit avec et comment on empêche le développement des bactéries pathogènes. Tu vois c’est une autre réflexion. Plutôt de dire qu’on veut plus de bactéries, ce qui a été fait pendant des années dans les hôpitaux et qui donne le résultat suivant : aujourd’hui on a des bactéries plus résistantes aux produits de nettoyage parce qu’elles ont muté. On crée des problèmes.
Pour revenir sur les fromages, on a dit, on met des planches en plastique qu’on nettoie à l’eau de javel plutôt que des planches en bois, le fromage plutôt mature partait en putréfaction parce qu’il n’y avait plus d’équilibre bactérien. Tu as un biofilm naturel qui se fait sur certaines planches en bois de certaines essences d’arbres. Ça demande un savoir des essences d’arbres compatibles au niveau alimentaire. La problématique c’est pas la bactérie mais comment on la gère et quel matériau on utilise. 

Alors, pour toi ce serait quoi la meilleure valorisation ? 

Qu’il n’y ai plus de « déchets« . Dans la nature le déchet n’existe pas.
On peut créer des systèmes où le déchet n’existe pas et au niveau économique, environnemental ce sera beaucoup plus performant. Quand on voit aujourd’hui l’impact que ça a. Le tri c’est depuis les années 1990 que c’est en place, aujourd’hui en France on atteint a peu près les 40 % de tri et à Genève à peine les 50% de tri.
Pour moi, l’idée c’est de dire, les déchets produits, ce sont des opportunités de création de nouveaux commerces, de recréer du lien au niveau local – atelier pour produire ses propres produits d’entretiens… – ce qui est bénéfique pour la santé, parce que ça évite d’avoir à lire les listes de produits et dire « Ça c’est allergène ou cancérigène non ? ». Je sais ce qu’il y a dedans, c’est moi qui ai fabriqué le produit et ça permet de réutiliser des outils magnifiques – les mains -. On est nés avec et elles sont formidables. C’est aussi ce qui fait notre supériorité, si on peut appeler ça, d’espèce, parce que l’homme à des mains et peut utiliser des outils. D’autres animaux utilisent les outils (singes, corbeaux) mais on a une capacité de préemption bien supérieure. Ce qui fait qu’on a des outils magnifiques et on les utilise pour les mettre dans la terre. Le cerveau c’est bien mais si il n’y a pas une concrétisation derrière, ça n’a pas de sens. Il y a une perte de sens et ce qui est intéressant par rapport à ce qu’on est en train de dire, notre cerveau a une partie reptilienne. On descend du primate, donc tout ce qui est tangible est plus parlant pour nous, ce qui explique certaines impulsions, on est lié à ce monde physique donc utilisons le, jouons avec et prenons du plaisir à jouer avec. 

Après cet échange, nous nous sommes rendus sur les lieux de son potager où il s’amuse à tester des techniques de permaculture. L’occasion de nous dévoiler l’un de ses projets.

L’une de mes idées est de faire de ce lieu, un lieu vivant où l’école, les gamins peuvent venir et voir la différence entre les différentes plantes et goûter. Ils peuvent avoir l’occasion de mettre les mains dans la terre et travailler les sens, l’odorat, le toucher même. C’est impliquer sont corps dans la démarche finalement

Gauthier DeLCLOY, HAUte-savoie, mars 2020

Pourquoi s’intéresser à la production alimentaire ?

Si tu deviens autonome au niveau de ta production alimentaire et que localement tu n’as pas besoin des industries ou d’aller au supermarché, il y a une perte financière énorme pour ces industriels.
De plus c’est indispensable de se requestionner sur ce qui se trouve dans nos assiettes parce qu’après la guerre, il y a eu une manipulation liée à la peur. On sort de la guerre, on sort d’une période où il y a eu des tickets de rationnement. Les gens sont dans la crainte. Qu’est ce qui se passe dans la crainte ? Ils vont aller chercher dans leurs connaissances pour subvenir à leurs besoins le plus rapidement possible. Si à ce moment là, on leur dit, il y a un projet au niveau national, international, au niveau de l’Europe où on fait un système de production alimentaire hyper efficace pour nourrir tout le monde… Résultat, on a mit en place une méthode de production qu’on a voulu uniformiser à une certaine échelle sans prendre en compte les spécificités des régions.
On a totalement balayé des centaines d’années qui ont fait les territoires. Les territoires étaient liés aux savoirs, connaissances et quels sont les meilleures productions a faire avec ce territoire…
Avec cette méthode, on a uniformisé car on avait des systèmes qui permettait d’amener la matière pour produire tout et n’importe quoi. Mais à quel coût ?
Au coût de l’irrigation, de la production d’engrais, de pesticides… On s‘est rendu compte qu’à Verdun par exemple, l’azote issu des bombardements permettait d’augmenter la pousse de l’herbe, cela devient intéressant pour cultiver. Les plantes explosent au niveau de la production, il y  a un surplus de sève produite qui est riche en sucre et attire les insectes. Qu’est ce qu’on fait ? On met en place des insecticides.
Avec autant de production par maître carré il y a un surplus d’humidité au niveau du pied et plus de lumière ce qui entraine la production de champignons. Qu’est ce qu’on fait ? On utilise les fongicides.
Tout s’est mis en place très vite, comme la monospécification des semences et le cahier des semences au niveau européen. Aujourd’hui vendre des semences en dehors de ce cahier est totalement illégal. Pourtant, la vie elle était là bien avant ce cahier. Cette relation avec la vie, on choisissait certaines semences adaptés à certains territoires, terroirs, climat, exposition etc, c’est une richesse, un patrimoine que l’on est en train de perdre. En plus, maintenant, ils font même des semences qui ne sont plus fertiles. C’est comme si on faisait des bébés produits par des machines et on rend toutes les femmes infertiles. C’est exactement ce qu’on a fait avec la nature. Mon image est très exagéré mais tout de même…
Si tu coupes la possibilité de vie, tu te coupes ton alimentation. Et il faut savoir que tu sais tenir 15 jours sans manger maximum, donc on est en train de tuer la vie dont on est dépendant. C’est ultra révoltant.

De cet échange ressort plusieurs points qui ont eu, depuis notre rencontre, un impact sur nos vie.

Il faut toujours questionner ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Ce que l’on achète, pourquoi on l’achète. Si la majorité de la première partie de la discussion a porté sur le tri des déchets, l’enjeu principal reste d’en arriver à une absence de déchet.

A première vue, on peut penser qu’on ne peut pas faire grand chose la dessus en tant que consommateur. Que c’est aux ingénieurs et aux industriels de réfléchir à la conception et à la composition des produits. Ceci est en partie vrai. Sans une réflexion poussée des acteurs industriels sur cette thématique, il n’y aura pas de grande avancée. Mais aujourd’hui, nous, consommateurs, pouvons agir en évitant de consommer des produits de marques qui font n’importe quoi.
Ici, Gauthier met également en avant le pouvoir de deux petites choses, que nous avons au bout de nos bras : nos mains. Mettre son corps en action, sortir de son écran, de sa tête, de son bureau et FAIRE avec ses mains. Ça a le pouvoir de nous reconnecter avec ce qui importe vraiment dans nos vies. J’en ai fait l’expérience depuis notre rencontre et je vous assure que cela a bousculé pas mal de choses dans ma vision de mon avenir, de mon futur boulot…
Enfin, la conjoncture actuelle amène plus que jamais à la réflexion sur notre autonomie alimentaire, énergétique… L’histoire est un marqueur important pour savoir, pour comprendre d’où l’on vient, ce que l’on perd ou ce que le gagne et où l’on veut (ou pas) aller.

Certains virages sont encore à prendre, tant individuellement que collectivement. A nous de jouer !


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