Rencontre avec Julie – Trial&Error, un projet post-capitaliste

L’économie libérale ne s’est pas vraiment imposés démocratiquement. Dans la Stratégie du Choc, Naomi Klein, celle-ci démontre comment les Chicago-Boys et leur mentor Milton Friedman en sont venus à profiter des crises dans de nombreux pays pour imposer des régimes ultra-libéraux, bien loin d’un idéal de démocratie (exemple de la dictature de Pinochet au Chili). Tous ces événements, qui ont mené à l’ère capitaliste, mettent en avant l’absence d’intérêts sociaux et environnementaux de ce système basé sur le profit et le libre marché pour un désengagement total de l’état dans toutes les sphères de la société. Alors l’égalité des chances, des sexes, des droits ne sont des sujets traités que superficiellement. Alors, comment penser un nouveau système ? A quelle échelle ? Avec quelle philosophie ?

En Février 2022, nous avons rencontré Julie bénévole chez Trial&Error, une association Berlinoise qui œuvre à l’échelle d’un quartier mais dont certaines des actions sont également menées à l’international pour penser un chemin vers une société post-capitaliste (non ce n’est pas un gros mot). Basée sur une économie solidaire, la méthode pédagogique de l’essai et de l’erreur et repensant l’accès aux besoins primaires des individus (se nourrir, échanger, s’habiller, devenir autonome…), Julie nous partage sa vision de l’association Trial&Error.  

Qu’est ce que le projet Trial&Error ? 

Le projet Trial&Error est basé sur une méthode pédagogique de l’essai / erreur. L’erreur est faite pour apprendre alors il faut obligatoirement essayer et faire des erreurs. C’est comme cela que tu progresses. Souvent on ne peut jamais y arriver du premier coup. On ne demande pas à un enfant qui apprend à marcher de marcher du premier coup, on sait très bien que cela va prendre du temps. C’est un processus naturel. Ici, on fait beaucoup d’essais, beaucoup d’erreurs. Le collectif a été créé par Ruta il y a 12 ans. Elle avait envie de faire quelque chose d’écologique, de créer, d’agir et d’utiliser les déchets toujours avec une touche créative et pédagogique. Ce n’était pas encore très à la mode, cela s’est davantage répandu depuis 4 ans, avec de gros projets qui se lancent et de plus en plus de gens qui nous demandent de faire des ateliers, des conférences ou des présentations. Nous proposons des projets à l’international, à Berlin mais également en interne dans nos locaux.  

SAMUEL BECKETT

Écrivain, poète et dramaturge irlandais. Prix Nobel de Littérature 1969.


« Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. »


Nous proposons : 

  • des ateliers de réparation d’habits
  • un magasin de vêtements gratuits (ouvert 2 fois par semaine) 
  • des dons alimentaires 
  • des ateliers de réparation d’objets 
  • des ateliers pour apprendre à faire son pain 
  • un jardin partagé (le projet a pris fin l’année dernière)… 

La philosophie ici c’est d’AGIR. Agir avec beaucoup de liberté et donner du temps pour créer quelque chose de familial. Il n’y a pas de hiérarchie, on ne travaille pas pour quelqu’un mais pour son projet. Je crois que l’action c’était le mot clé avec la création, elle est très créative.

Nous agissons notamment à l’échelle du quartier Neukölln. Il y a 10 ans, il était moins cher, plus populaire. C’est un quartier qui reste populaire avec une grande diversité de personnes, des personnes avec des problèmes d’addiction, des classes sociales défavorisées… ce qui permet grâce à l’association d’agir concrètement sur une population qui n’est pas souvent ciblée.  Et comme nous sommes bien implantés, l’idée c’est de vraiment créer un tissu social dans le quartier. Résultat, des gens se croisent ici alors qu’ils sont a priori antinomiques. Alors certes, ce n’est pas tout le temps calme mais par contre il y a des gens qui étaient tout seuls et qui nous disent « Ah mais vous êtes ma famille ». Parfois, il n’y a pas besoin que les projets soient énormes ou sensationnels. Les gens ont juste besoin de se voir en vrai, de se parler en vrai, de vivre des choses ensemble quoi. L’ensemble des ateliers proposés sont gratuits ou à une somme inférieure à 10€ pour que les gens qui en ont besoin et qui n’ont pas d’argent puissent apprendre à être davantage autonomes sur certains sujets. 

Comment fonctionne l’association ? 

L’association a des bénévoles qui selon les années sont plus ou moins investis. L’année dernière avec une stagiaire on avait posé une théorie, celle du triangle du diable. C’est à dire que nous n’avons pas assez de gens, ils sont clairement surchargés de travail et comme on a pas assez d’argent pour les payer, ils manquent de temps pour pouvoir répartir les tâches sur plus de gens.

Du coup on est quelque chose comme 10 personnes, mais en ce moment ceux qui portent l’association et les projets sont plutôt 4-5. Nous avons également 3 volontaires européens et 3 stagiaires. Après, il y a des bénévoles qui s’impliquent sur certains projets et pas sur d’autres. Ce que je trouve dommage c’est qu’il y a très peu de gens qui passent du statut d’utilisateur du lieu à bénévole. On fait en sorte de ne pas forcer et d’être ouvert à tous ceux qui en ont envie. On travaille beaucoup à mettre en place un fonctionnement sociocratique avec tout ce qui est respect des échanges entre êtres humains. Être démocratique, dans le sens premier du terme, avec des tours de parole, on ne coupe pas la parole, on fait des chapeaux de Bono… 

Après, est-ce que les gens qui vont faire marcher et tourner l’association, le collectif, sont ceux qui viennent utiliser l’espace, c’est pas sûr.

Mais le lieu marche très bien, il est connu dans le quartier et tout le monde l’adore. Mais pour continuer à obtenir des financements pour le faire fonctionner, il faut toujours prouver qu’on est meilleur. On doit avoir de nouveaux objectifs pour pérenniser un projet qui marche… Alors qu’en fait ça marche, c’est très bien, pourquoi est ce que l’on peut pas le financer juste dans la continuité et dans la stabilité ? C’est toujours cette logique de progression de développement.

Note de Pauline Le rapport à l’argent, au progrès et au profit prime toujours. Ça oblige des initiatives comme Trial&Error à se frayer un chemin compliqué pour réussir à se financer.

Comment fonctionne le magasin gratuit ? 

On est dans une optique de gestion en flux tendus vis-à-vis de la consommation actuelle. Du coup les gens sont censés apporter leurs vêtements pendant les heures d’ouverture. On avait imaginé qu’ils viennent, trient les vêtements avec nous, choisissent d’autres vêtements si certains leur plaisent. On appelle ça le Swap Shop en anglais, c’est vraiment l’idée d’échange qui est derrière. On avait même imaginé leur demander d’écrire l’histoire du vêtement mais ça ne se passe jamais comme on imagine. Mais généralement s’ils viennent quand c’est fermé, ils laissent les sacs devant la porte, c’est beaucoup de travail pour nous derrière… Je pense que c’est quelque chose qui est parfois pris comme se donner bonne conscience et ne pas jeter à la poubelle.

Qu’est ce que vous entendez par économie solidaire  ? 

Pour nous l’économie solidaire c’est notamment par exemple faire les ateliers à 5-10€ au lieu de les faire à 50-60€. C’est permettre aux gens d’avoir des habits chauds sans les payer ou en faisant une donation.
Essayer d’ajuster les niveaux en fait, entre les gens et d’aider ceux qui ont moins accès à des besoins essentiels, qui ont moins de pouvoir d’achat. Faire en sorte que personne ne soit exclu. 
L’économie solidaire c’est aussi ça pour moi, c’est faire attention aux autres, s’occuper de ce qui se passe dans son réseau. 

Quelle vision de la société porte l’association ? 

L’idée c’est vraiment de marcher en parallèle et de faire nos gestes dans l’économie que l’on voudrait, nos projets avec les méthodes éducatives qui font sens pour nous. Et le mot revient souvent de « post-capitalistes« , on travaille pour un post-capitalisme en le créant déjà à petite échelle. Il faudrait un système économiquement différent. Tout ce qui est financier doit être changé, tout ce qui est échanges de flux d’argent et de pouvoir, qui est souvent distribué avec l’argent. 

Au niveau personnel, je crois que les gens qui sont là, ont vraiment envie de créer leur propre travail qui correspond à ce qu’ils sont. Ce qui est bien ici c’est que l’on peut le créer à notre image.

Je pense que pour certain on a peut être encore un discours un peu radical, bien que des gens beaucoup plus radicaux à la base étaient parmi nous. Après pour moi le mot « radical » je l’aime beaucoup. Étymologiquement, être radical c’est revenir à la racine [d’un problème], c’est tout bon. Maintenant, s’il y a moins de gens radicaux dans ce collectif alors on ne pourra plus utiliser le même vocabulaire et je pense que concrètement, si on ne l’utilise plus, on oublie un peu notre chemin…

Petit récit post-capitaliste inspirant
La métaphore du papillon.
J’adore cette métaphore, c’est la chenille (le capitalisme) à l’origine qui n’est pas durable. Elle mange 25 fois son poids tous les jours. Et petit à petit, dans son corps il y a des cellules imaginales, ces cellules se développent et elles sont totalement autonomes et elles ne font que grandir. La chenille lutte. Pour elle, c’est comme un cancer. Mais les cellules continuent de se multiplier jusqu’à ce qu’elles soient dominantes. Et là, la chenille se transforme de l’intérieur en joli papillon.
C’est exactement ce qu’on essaye de faire en fait. Et l’idée, c’est que la chenille va se débattre de toutes ses forces, mais il faut juste continuer à proposer des choses qui nous correspondent, qui nous font plaisir, qui nous remplissent de joie, de bonne conscience et un jour, tout deviendra un joli papillon. 

Comment est-ce qu’on en vient à s’engager dans ce genre de collectif ? 

C’est une bonne question, parce qu’en plus je ne suis pas hyper jeune. J’ai eu toute ma vie d’avant et je crois que c’est parce que ça ne correspondait plus à mes valeurs, qui ne se sont pas révélés très tôt. Dès que j’apprends quelque chose, au lieu de me dire “C’est pas grave, je le mets de côté”, je me sens obligée d’agir sur ma vie. Petit à petit je suis devenue quelqu’un qui pouvait plus travailler pour n’importe qui, faire  n’importe quoi. J’ai eu un creux dans mon travail, j’ai souvent changé parce que je m’ennuie très vite. Chez Trial&Error j’ai trouvé un lieu ouvert où si  j’ai une idée je peux arriver, dire “Je voudrais monter ça” et si je le veux, je le monte. Personne ne va me dire non. Et c’est ce dont j’avais besoin, rejoindre  un réseau de gens qui étaient en accord avec mes valeurs (plus ou moins évidemment). On est aussi tous différents, mais on a une base commune et ça me fait me sentir bien. Je pense que pour les autres c’est pareil, et même malgré tous les problèmes, les plus anciens ne partent pas, parce qu’à chaque fois on se dit “Ah mais qu’est-ce qu’on aime ce qu’on fait”. En plus, on est certains que c’est bien ce qu’on fait et surtout on a encore cette conviction que ça sert à quelque chose. Même si on ne change pas le monde, au moins on ne le rend pas pire et c’est hyper agréable je trouve. 

Après, dans ce genre de collectif, il faut juste savoir ce qu’on veut à la base. Ce qu’on est prêt à donner et souvent, on donne plus que ce qu’on est prêt à donner. Parce qu’en dehors des animations il y a beaucoup d’organisation, de coordination pour nettoyer les locaux etc… il faut que tout le monde soit responsable, range derrière le lieu…

C’est quoi ta bascule ?

Je ne sais pas s’il y a eu un événement particulier. Mais en 1995, j’étais étudiante il y avait de grosses grèves en France et moi j’étais à l’université et je voulais avoir cours. J’avais été une très mauvaise élève, j’ai jamais trop aimé l’école, à l’époque je faisais des études de cinéma et c’était la première fois que j’allais en cours, que je travaillais. Mais il y avait des gens qui étaient très motivés à faire grève. Moi, je n’étais pas du tout consciente des combats politiques. Petit à petit, je me suis dit que c’était de l’injustice en fait. Il n’y a pas une bascule mais il y a un moteur : tout ce que je trouve injuste. Tout ce que je ne trouve pas équilibré n’est pas logique pour moi. Mais c’est souvent sous le prisme de l’injustice.  Pourquoi il y aurait les ¾ de l’humanité qui seraient en danger, pauvres, mal nourris pour que nous, européens, on puisse avoir tout ce luxe ? Je ne trouve pas que les enfants des autres valent moins que les miens.

Réflexion inspirée de lectures de Julie Je pense que regarder le passé, c’est important, parce que dans le passé, les choses ont déjà eu lieu, donc on pourrait davantage s’en inspirer. Parce que baser sa vie sur le futur, en imaginant des machines qui font tout pour nous par exemple, ce n’est basé sur rien de concret. 


Notre échange avec Julie a été très inspirant. Dynamique, enthousiaste, rayonnante, Julie semble habitée par une envie sincère d’apporter aux citoyens prenant part à l’association en tant que contributeur ou utilisateurs, des clés pour imaginer une autre manière de faire société, en étant davantage attentif aux autres, en partageant (des moments, des sourires, des vêtements, de la nourriture), en s’instruisant par la lecture ou des temps d’échanges sur différents sujets … 

A travers cette rencontre, nous avons entraperçu le moyen de créer un espace de convivialité connu de tout un quartier. Nous avons été surpris de voir le nombre de personnes qui pendant les 2 heures de notre présence sur les lieux, se sont arrêtés devant la boîte à don devant la vitrine du magasin et y ont pris ou y ont déposé des objets. Alors évidemment tout n’est pas simple, la pérennité d’une association comme celle-ci repose notamment sur la nécessité de trouver des fonds publics, qui pourraient être récurrents afin de leur permettre de répondre à leur mission sans être toujours au bord de la fermeture. Mais l’association perdure, avec ses 12 années d’expériences et elle aide, chaque jour, à permettre de voir un jour le papillon éclore ! 


On espère que vous avez apprécié cet  ARTICLE sur notre rencontre avec Julie. N’hésitez à venir en discuter avec nous dans les commentaires ou sur nos réseaux sociaux. 

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