Rencontre avec Upsidogi Son Sea – L’art au service des nouveaux récits

Le récit dominant actuel nous pousse à surconsommer, produire une quantité incroyable de déchets et de nous détacher de toutes responsabilités. Abandonner, jeter, importer, exporter,… Si c’est l’Histoire que l’on a voulu nous conter depuis des décennies, il est temps de faire partie des gens qui font pivoter l’Histoire. Cyril Dion, Rob Hopkins, Avant l’orage, Alain Damasio et tant d’autres partagent, par le biais de la culture et de l’art, de nouveaux récits pour inspirer, témoigner, informer. L’art et la culture ont toujours été dans l’Histoire un moyen de s’exprimer, de déplacer le regard, d’ouvrir les yeux sur l’état du monde. 

À travers notre voyage, nous avons voulu saisir l’occasion de donner la parole à une artiste Berlinoise. Quelle prise de conscience ? Comment concilier art et économie circulaire ? Dans son rapport Économie Circulaire et Culture (2021), l’Orée indique que malgré une conscience de “sa capacité à faire évoluer les comportements, le secteur culturel connaît une récente prise de conscience des enjeux de l’économie circulaire et s’engage progressivement à en appliquer les principe”.

En février 2023, à Berlin, nous avons rencontré Upsidogi Son Sea, d’origine américaine, elle y est diplômée des Beaux-Arts avec une spécialisation en tissage au sein du Massachusetts College of Art and Design en 2008. Elle vient à Berlin la même année au sein d’une maison d’artistes. En 2009, elle décide de retourner à Berlin où elle crée des installation et divers projets avant de revenir au tissage de différents matériaux durant la période du Covid. Nous l’avons croisée dans le magasin de matériaux de construction de seconde main Kunst Stoffe et nous avons pu échanger avec elle. Voici le récit de notre échange.

Qu’est ce que le projet “Transformation Station”?

A la base, j’ai contacté Kunst Stoffe et j’ai proposé l’idée de faire un atelier de tissage ici avec comme objectif de montrer aux gens comment ils peuvent fabriquer leurs propres métiers à tisser. C’est un processus vraiment accessible. Je crois tout le monde peut apprendre, ça fait partie de la plupart des cultures, je pense que c’est un processus vraiment important à remettre dans les mains du plus de personnes possible. C’est également une façon d’utiliser beaucoup de surplus de matériaux, comme les tissus – parce qu’il y a une telle surproduction de tissus – et aussi de matériaux et autres déchets. 

J’utilise principalement des matériaux d’emballages que je récupère dans différents magasins autour de Berlin et mon but est de sauver autant de matériaux que possible du système de déchets local et d’en faire des tissages.

Je pense que ce qui est bien avec le processus de tissage, c’est que tu n’as pas nécessairement besoin d’avoir une image de ce que tu souhaite faire, ou d’avoir un plan spécifique. Tu peux juste tisser organiquement et voir ce qui se passe. Ou bien tu peux tisser avec d’autres personnes – vous pouvez tisser chacun une ligne ou bien vous pouvez tisser pendant 10 minutes ou pendant des heures et des heures -. 

C’est un processus qui est très agréable à combiner avec d’autres personnes ou bien c’est aussi agréable à avoir chez soi, donc c’est très flexible et je pense que c’est un super outil pour redonner, ce que je pense être une compétence humaine importante, la créativité, à autant de personnes que possible. Parce que je pense que ce n’est pas quelque chose que seuls les artistes devraient être autorisés à faire, être créatif. Les gens ont souvent peur d’essayer de commencer à faire quelque chose de créatif, ils pensent : “Je ne peux pas le faire” ou “Je ne sais pas comment le faire”…

Transformation Station c’est un processus très démocratique dans ce sens là. 

Comment as-tu décidé d’utiliser des déchets dans ton processus créatif ? Est-ce que cela fait longtemps ? 

J’ai toujours essayé d’utiliser des matériaux qui ne sont pas toxiques. Pendant très longtemps j’utilisais du vieux papier. Et puis avec le tissage, je ne me souviens pas exactement comment j’ai eu cette idée d’utiliser des matériaux d’emballage et d’autres choses. Je suis également engagé en tant qu’activiste sur les questions environnementales et je voulais combiner les deux. Alors, au lieu de seulement utiliser des matériaux non toxiques, j’ai décidé d’aller un peu plus loin et de faire en sorte que le but de la création de l’art soit d’utiliser les déchets du système. 

Et quand j’ai commencé à y penser et à utiliser les plastiques, j’ai réalisé que c’était génial parce que, à l’heure actuelle, c’est un matériau sans fin tellement il est produit. Je n’ai jamais eu à en acheter. Et travailler avec le plastique et le tisser donne une texture vraiment agréable. C’est assez intéressant de comparer comment les différents plastiques se combinent ensemble, et parfois ils ont vraiment l’apparence de la laine ou du coton selon la façon dont ils sont coupés. Plus il y a de variétés, plus les textures sont intéressantes pour moi. 

Considères-tu le plastique et tous les matériaux que tu utilises pour tes productions comme des déchets ?

J’essaie de transformer cette idée de ce que je vois comme un déchet dans notre société actuelle. En fait nous avons tellement accès à ces matériaux, si nous changeons la façon dont nous pensons à eux, dont nous les percevons, ils ne sont plus des déchets. Ils sont en fait, comme ici, un matériau pour faire quelque chose mais aussi un matériau pour apprendre à d’autres personnes comment faire des choses.

Donc je ne considère pas ces plastiques comme des déchet. Mais, en approchant le matériau d’une façon différente, en essayant d’amener d’autres personnes à reconsidérer les choses qui traversent leur vie tous les jours et les aider à imaginer comment changer la relation qu’ils ont avec eux au lieu de simplement les jeter.

Transformation Station – Projet artistique porté par Upsi Sea

Combien coûte l’une de ces œuvres d’art du projet Transformation Station ? 

Je pense que c’est une question intéressante. Je vends mes œuvres en termes d’heures de travail manuel. Je ne crois pas vraiment en cette idée de l’artiste avec un ego surdimensionné dont les œuvres coûtent forcément cher parce qu’elles ont été créées par une personne géniale. Bien sûr, je pense avoir créé des productions – du dessin notamment –  qui m’a pris seulement quelques heures, et qui est vraiment bon. Ce travail vaut certainement beaucoup plus que ces heures. Mais avec ce projet “Transformation Station”, ce que je fais, c’est que je garde une trace des heures que ça prend. Puis quand quelqu’un est intéressé à acheter une production, ça fonctionne comme les prix solidaires pour aller à des soirées ou parfois même dans des cafés. C’est-à-dire que la personne paye ce qu’elle peut. Je dis à la personne combien d’heures il m’a fallu pour faire l’œuvre et ensuite j’indique le montant du prix de solidarité – de 10 à 20 euros de l’heure – pour que celui qui achète puisse décider combien il paye. J’espère que c’est un moyen de rendre plus accessible l’art. Mais c’est aussi un moyen pour qu’ils comprennent ce qu’on fait avec nos mains, ce qu’est le travail manuel, ce qu’est l’art… C’est juste une autre façon d’amener les gens à changer de mentalité par rapport à ces questions.

Est-ce que tu penses que les artistes ont un rôle à jouer dans la sensibilisation de la population aux enjeux de notre siècle comme le changement climatique par exemple ? 

Oui. Pour jouer sur les changements de comportements des gens ou dans la prise de conscience de certains problèmes de société, je pense que beaucoup d’artistes le font, mais aussi beaucoup d’artistes ne le font pas. Et quand on regarde les magasins et la production de matériaux d’art, c’est une industrie extrêmement polluante, tout comme l’industrie de la mode, par exemple.

L’industrie de la mode est vraiment très polluante, c’est pourquoi je suis vraiment intéressée par le fait de ne pas acheter de matériaux, mais plutôt d’utiliser ce que nous avons.

Je pense que nous, les artistes, nous avons cet outil de pensée créative et de résolution créative des problèmes. Et plus on l’utilise, plus on est entraînés et plus la façon dont on résout les problèmes au cours de la journée peut vraiment changer. Alors, en ce moment, nous avons tellement d’énormes problèmes – le changement climatique, les déchets que nous avons déjà produits et comment ils finissent dans l’environnement – on peut se demander comment nous allons gérer tout cela. Selon moi, si plus d’artistes appliquent leur pensée créative à ces problèmes, je pense que c’est une belle façon de résoudre des problèmes ensemble. D’une manière amusante. Faut vraiment se dire que c’est comme un renforcement positif, où l’on commence à travailler ensemble en faisant des choses. De cette façon, les gens commencent à penser d’une manière différente. Je pense que ça pourrait avoir un effet exponentiel sur la manière dont nous pourrions traverser ces crises. Donc un grand OUI

Nous sommes très reconnaissants à Upsi d’avoir pris un peu de son temps pour échanger avec nous sur son travail. Sa réflexion, plus qu’inspirante invite à penser d’une tout autre manière la manière de rendre l’art accessible : 

  • en le produisant dans un endroit passant, au sein d’un lieu alternatif comme la maison des matériaux où nous l’avons rencontré. 
  • en le partageant, en terme de connaissances, en proposant d’apprendre à réaliser son propre métier à tisser mais également en proposant aux gens de contribuer à la pièce le temps de quelques minutes où quelques heures.
  • en repensant la manière de vendre une production artistique en impliquant l’acheteur dans son acquisition, augmentant la valeur qu’il peut porter à celle-ci.

Cet échange permet également d’ouvrir les horizons sur la manière de trouver des solutions aux problèmes de notre siècle. Si tout ne se réglera pas en s’amusant, pourquoi ne pas tenter de piocher le maximum de petites astuces pour mettre en action la pensée créative présente en chacun de nous et la faire grandir. Cela peut peut-être nous inviter à voir certaines choses considérées aujourd’hui comme des contraintes comme un jeu, un nouveau récit. Comme par exemple, produire un tissage à partir de déchets plastique avec toute votre famille.

Nous espérons que cet échange vous aura plus. Nous, nous avons beaucoup aimé la petite étincelle qui brillait dans les yeux d’Upsi lorsqu’elle parlait de son projet.


On espère que vous avez apprécié cet ARTICLE sur notre rencontre avec Upsidogi Son Sea. N’hésitez à venir en discuter avec nous dans les commentaires ou sur nos réseaux sociaux. 

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