À une époque de renouveau, à la suite des deux grandes guerres, le XXème siècle fait émerger de nouveaux concepts, de nouvelles idées, de nouvelles ambitions. C’est dans cette nébuleuse de changements que la notion d’Économie Circulaire fait son apparition. Émergeant en plein boom capitaliste, ce concept peine à s’imposer. Mal défini et sans définition consensuelle, l’Économie Circulaire attise doucement l’intérêt et fini par se faire lentement une place. Aujourd’hui, en France, ce concept est défini par l’ADEME comme « un système économique d’échange et de production qui, à tous les stades du cycle de vie des produits (biens et services), vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus. »1.
Économie Circulaire VS Linéaire
Ce concept, censé rompre avec le modèle de l’économie linéaire aujourd’hui dominant prend de plus en plus d’importance à la suite du dépassement des 3 premières limites planétaires (Érosion de la biodiversité, Changement climatique, Perturbation des cycles biogéochimiques) et du besoin d’économiser les ressources limitées disponibles.
Les limites planétaires2 définissent les limites à ne pas dépasser pour protéger notre environnement et maintenir des conditions favorables pour l’humanité. Elles sont au nombre de 9 (Cycles de l’eau douce, Appauvrissement de l’ozone stratosphérique, Augmentation des aérosols dans l’atmosphère, Acidification de l’océan, Perturbation du cycle du phosphore et de l’azote, Introduction d’entités nouvelles dans la biosphère, Changement d’utilisation des sols, Érosion de la biodiversité et changement Climatique). Elles ne sont pas toutes facilement quantifiable mais la communauté scientifique travaille de plus en plus sur cette base et a évalué en janvier 2022 le dépassement d’une 6ème de ces limites concernant le cycle d’eau douce. Nous pouvons d’ores et déjà en voir les effets en France avec les sécheresses à répétition en été comme en hiver.
Lors de notre première interview, Émeline Baume, élue locale à Lyon, avait défini l’Économie Circulaire comme le fait « d’organiser la descente matérielle et énergétique de la société ainsi que d’assurer la circularité des flux de ressources« . En résumé, arriver à mener nos sociétés vers un modèle plus sobre en ressources, basé sur un fonctionnement partenarial et collaboratif qui minimise notre impact sur l’environnement.
En France, la transition vers une économie circulaire est officiellement un des objectifs de la transition énergétique et écologique et un engagements en termes de développement durable depuis la loi sur la Transition Énergétique pour une Croissance Verte (2016). Cependant, si l’Économie Circulaire est considérée comme un outil pour la croissance pour le gouvernement, elle est davantage, selon nous, un outil pour repenser nos modes de production et de consommation et mener notre société vers cette descente énergétique et matérielle. Nul besoin de croissance économique sinon de trouver un équilibre stationnaire et pérenne pour répondre à nos besoins.
Pour accompagner la réflexion sur l’économie circulaire, l’ADEME propose 3 domaines principaux (Production, Consommation et Gestion des déchets) à l’intérieur desquelles se trouve 7 piliers clés du succès d’une démarche circulaire.
#1 Production
C’est ici que tout commence. Un processus dit linéaire ne se soucis que très peu de l’ensemble des interactions relatives à l’objet manufacturé. Tout est produit en silo. D’abord on produit des matières premières à partir de minerais extraits dans des mines par exemple, puis on le transforme, on créé des alliages, et enfin on assemble le tout pour en faire un « simple » bien de consommation. Chacun soucieux de faire perdurer son business répond simplement au cahier des charges en minimisants les coûts. Bien souvent cette minimisation consiste à externaliser les coûts sociaux et environnementaux. C’est à dire, produire dans des régions ou l’on peut aisément détruire l’environnement et payer une main d’œuvre très bon marché.
Approvisionnement durable et éco-conception
Aussi, la mise en place d’une démarche d’Économie Circulaire invite à réfléchir dès la conception d’un produit à la manière dont l’entreprise s’approvisionne en matière première, la provenance de celle-ci, la distance parcourue, la qualité. On pourrait ajouter à cela la qualité sociale accordée à la production de cette matière première (conditions de travail, droit des travailleurs…).
Prenons l’exemple de Pitumarka, la marque de mode éthique que nous avions rencontré fin 2020. Sa démarche est profondément ancrée dans une logique de valorisation d’une ressource (le coton) gérée durablement et traditionnellement par des agriculteurs Péruviens. Il porte également la volonté de valoriser le travail des communautés locales en les faisant travailler dans de bonnes conditions et pour un salaire décent.
La phase de conception est également le moment idéal pour penser la fin de vie du produit ou l’allongement de cette durée de vie, soit l’ensemble du cycle de vie du produit (bien ou service). Cela vous semble bizarre ? Pourtant, c’est au moment de choisir puis d’assembler les matières premières que la méthode d’élimination du produit sera actée. Sera-t-il possible de démonter facilement l’objet pour changer des pièces défectueuses ? Sera-t-il possible de séparer les matériaux ? L’éco-conception, concept clé et encore trop peu mis en pratique de façon réelle dans les industries, pourrait bien révolutionner le monde des objets.
Écologie industrielle et territoriale
Ajouter à cela une écologie industrielle et territoriale basée sur un échange et une interdépendance entre les industries sur un territoire. La coopération et la mutualisation des flux de matière, d’énergie, de personnes et de compétences pour un fonctionnement efficace économiquement et plus durable tant écologiquement que socialement parlant. Bien entendu il reste bon nombre de freins et de barrières pour faciliter ces évolutions mais de plus en plus d’industriels commencent à y réfléchir sérieusement et tentent de prendre petit à petit le chemin de cette mutualisation et des synergies.
Retrouvez le réseau Synapse qui recense des projets de symbioses industrielles et territoriales.
Économie de la fonctionnalité
Un dernier élément dans ce premier pilier de la Production : l’économie de la fonctionnalité – vendre un usage plutôt qu’un produit – un modèle économique qui invite à questionner l’ensemble de la chaîne de production que nous avons dessiné précédemment et qui permet d’envisager différemment la manière de faire un objet et de le consommer. Finalement il s’agit simplement d’un transfert de propriété d’un objet du consommateur au producteur. Et avec cela, toutes les responsabilités qu’il en découle quand à la durabilité de l’objet et de son entretien.
Prenons maintenant l’exemple de la startup Suédoise que nous avons rencontré à Stockholm : Ihopa. Leur offre repose sur un abonnement pour un accès à des armoires partagées dans les quartiers et contenant des outils et autres appareils si peu utilisés qu’il est alors inutile de les posséder. On achète un droit d’usage à du matériel d’excellente qualité ou les couts sont partagés par toute la communauté d’utilisateurs plutôt que de l’acheter pour soi. Une manière de réduire l’empreinte écologique des objets qu’on utilise.
#2 Consommation
Nous voilà donc au second pilier, la Consommation : « Fait de se procurer un bien ou un service et d’en faire usage ». La consommation émane d’une demande à laquelle un industriel répond.
Consommation responsable
Une démarche circulaire invite les consommateurs à consommer de façon plus responsable mais également aux industriels à offrir des possibilités de consommation plus responsable. Il est impossible que les comportements de consommation changent à grande échelle si la publicité continuent d’inonder les espaces privés et publics : nos écrans et nos rues. Une consommation responsable c’est peut être d’abord une baisse consciente de la consommation. C’est aussi et surtout avoir la possibilité de faire un choix de consommation éclairé sur l’impact environnemental et social des produits consommés, à toutes les étapes de leur cycle de vie.
Prenons ici l’exemple de Foodprint. Cette jeune entreprise a pour objectif de communiquer sur l’impact environnemental des plats servis dans la restauration collective. À l’aide d’un moteur de calcul développé en interne utilisant les données publiques d’impact environnemental des aliments, ils permettent à la fois aux cuisines collectives de connaitre l’impact des plats qu’elles proposent ainsi qu’aux clients de faire un choix éclairé.
Allongement de la durée d’usage
La production d’un objet, quel qu’il soit requiert donc des ressources naturelles, matérielles, énergétiques et sociales. Un des grands principes d’une économie plus durable devrait donc être de refuser les effets de mode et l’obsolescence. Pour réduire les pressions sur les ressources, nous avons besoin de ralentir la boucle, ralentir les rythmes de consommation. Cela signifie notamment de s’assurer que les biens restent fonctionnels le plus longtemps possible et s’assurer de faire circuler les matières à l’intérieur du cycle de consommation. Le mot clé ici est « VALORISATION » de ce qui est déjà là. Voilà pourquoi l’Allongement de la durée d’usage des matières est un des grands piliers de l’Économie Circulaire.
C’est également aider les produits à ne pas descendre la spirale de la valeur3 et mettre en place les comportements post-usage adéquats. On parle principalement de la réparation de nos objets cassés ou le réemploi de ceux-ci en les amenant dans un lieu de collecte qui leur permettra une seconde vie et/ou de permettre leur réutilisation suite à un reconditionnement par exemple.
Réparation, réemploi, réutilisation. Ça veut dire quoi ?
- La réparation consiste en « la remise en fonction d’un produit ».
- Le réemploi, c’est « le don ou la vente d’un produit dont on a plus usage afin d’augmenter sa durée de vie dans un usage identique ».
- La réutilisation c’est « l’utilisation des matières d’un produit, en pièces détachées par exemple, et qui permettent la vente ou l’usage d’un nouveau produit ».
L’exemple type d’allongement de la durée d’usage des objets se retrouve dans nos rencontres, chez Café Kaputt. Ce repair café associatif à Leipzig (Allemagne) se propose d’aider tout un chacun à réparer soit même ses objets cassés. Une solution conviviale pour à la fois se former à la réparation d’objets et améliorer son impact écologique en s’ancrant dans une démarche personnelle circulaire.
#3 Gestion des déchets
Dans un réelle logique d’Économie Circulaire, l’objectif est qu’un maximum de produits n’arrivent jamais à cette étape. C’est-à-dire qu’un produit ne soit jamais considéré comme un déchet. Ceci viendrait à le conduire, dans le meilleur des cas aujourd’hui et tout le temps dans un monde parfaitement circulaire, au recyclage. Le recyclage c’est le traitement d’un produit en fin de vies afin de pouvoir réintroduire, tout ou partie de ce dernier dans un cycle de production. Aujourd’hui, les filières de recyclage sont encore trop peu efficaces et du fait des choix de conception des produits, notamment sur les plastiques par exemple, rares sont les exemples où il est possible de faire remonter 100% de la matière au stade de matière première.
Une exception près est celle du compost. On peut considerer ce processus naturel comme de régénération des terres. L’idéal évidemment, c’est de limiter au maximum tout ce qui relève du gaspillage alimentaire, de la production de déchets organiques. Cependant, le compostage permet, lorsqu’il est bien fait, de décomposer la matière afin d’opérer ce « Retour à la terre » pour la nourrir et produire la nourriture de demain.
Finalement
Vous l’aurez compris, pour passer véritablement à une démarche d’économie circulaire, selon nous, les principaux axes de travail se trouvent dans les deux premiers domaines : « PRODUCTION » et « CONSOMMATION ». Il est nécessaire que les entreprises s’emparent de l’opportunité de faire évoluer leurs modèles économiques et leurs modes de production. Non seulement en prenant leurs responsabilités envers les citoyens mais également envers leurs employés et les écosystèmes. Nombreuses sont les solutions existantes, inutiles de réinventer la roue. Il suffit de s’inspirer et se donner une mission qui nous pousse à toujours nous améliorer, sans faire passer le profit de quelques uns avant tout.
Pour arriver à passer du stade de la prise de conscience à un réel réveil et une mise en action4, « il va falloir qu’à tous les niveaux du cycle de vie des produits et des chaînes de production et de consommation on mette en place une intelligence stratégique qui :
- Dépasse le “On fait déjà…”
- Expérimente et généralise
- Travaille dans la durée
- A une approche systémique
- Etabli des relations de coopération et de confiance
- Privilégie la proximité et la qualité »
Des actions concrètes se mettent en place et frémissent ces derniers temps :
- La publication des 100 propositions des entreprises du Grand Défi
- La création de nombreux cabinets de conseils pour la transition
- La réalisation d’études, notamment par l’ORÉE, qui viennent donner des pistes de réflexions tangibles pour les entreprises et les consommateurs
Selon nous, tout le monde peut et doit agir, entamer ces transformations à un niveau personnel, collectif et professionnel.
Comme nous le disions en introduction, l’Économie Circulaire est un outil parmi d’autres. En tant que citoyen en quête de compréhension, nous avons décidé dans le cadre de l’association Déchets d’Œuvre de réaliser un exploration pour (ré)interroger nos modes de production et de consommation en Europe. Cette exploration est en cours, découvrez y les tenant et les aboutissant.
Notes
- Expertises ADEME – Économie Circulaire[↩]
- Concept qui voit le jour dans une publication scientifique, rédigée par une équipe internationale de chercheurs pluridisciplinaire, dans la revue Nature en 2009[↩]
- Voir l’article avec Jacques Méhu[↩]
- MOOC Économie Circulaire et Innovation, UVED Université Virtuelle Environnement et Développement Durable[↩]